Cancel Reality

« Á la recherche du réel » titrait naguère le physicien Bernard d’Espagnat à propos de notre « micro » monde (les « quanta ») qu’il serait possible de transcrire métaphoriquement au niveau « macro » (le réel « des travaux et des jours » Hésiode) par : « pourquoi y-a-t-il rien au lieu de quelque chose » ?…

Rappelons-nous en effet que ce célèbre adage de Leibnitz avait été ainsi renversé par Jean Baudrillard, il y a quelques décennies déjà… ; mais ce dans l’indifférence générale ; le « micro » monde germanopratin n’avait à l’époque de « troisième œil » que pour un dénommé « Foucault » dont Baudrillard disait (1977, en même temps que Gladys Swain, et trois ans avant la confirmation par Marcel Gauchet en 1980) qu’il fallait plutôt « l’oublier » (Foucault l’apprenant se vengea en disant qu’il « avait du mal », lui, à « se souvenir » de Baudrillard ) tant les propos, très ciselés, de Foucault, toutes ses si belles notes de bas de page par exemple, s’avérèrent forgées en trompe « l’œil » ; semblables à de bas-reliefs à la recherche de leur Champollion, mais « punctums » (Barthes) d’une composition art déco de plus : celle de fresques design prétendant déceler éclairer la nature des codes et de leurs « territoires » à partir d’une pâte à modeler  « la » folie (confondue avec l’imaginaire) la « domination » (réduite à la puissance) la mort de l’homme (rétrécit à ses droits positifs) ; rien par contre sur la mise à mort, contemporaine, du « réel » sous les coups de butoir conjugués de l’affairisme globalisé (interconnecté) s’articulant au « mode de production étatique » bureaucratisé avec à sa tête une « technostructure » ploutocrate se servant du « capitalisme » (au sens wébérien) comme outil, le régime post-maoïste en étant la quintessence, exigeant alors la fondation simultanée d’une chimie politique et d’une tératologie tant la production de monstruosités hybrides rend exsangue les catégories ou « classes » traditionnelles de la philosophie politique (un, plusieurs, quelques-uns …) et (ré)activent celles de strates, castes, sectes factions, mafias….

Baudrillard signalait, par cet adage renversé, la disparition désormais constatable de notre monde dit « libre » ; une « liquidation » certes (encore) contrastée, mais rappelons-nous ce « Monde d’hier » (pour reprendre ce titre de Stephan Zweig) qui nous permettait d’être en ombres et lumières, et non pas seulement exister dans cette seule apparence et transparence des ready made, celle de tous ces écrans plats écrins plastiques encapsulant nos vies de plus en plus plates au fur et à mesure que nous tournons, nous, en rond, sommés cependant de relativiser l’être de la Terre, perdue paraît-il parmi les myriades d’existences « de mondes possibles » et pourtant « à sauver » quoiqu’il en coûte…

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 « La pierre existe elle n’est pas » disait Kant ; voilà ce que semblent pas avoir encore saisi (ou ne veulent pas le faire) ces post-existentialistes  « rebelles » et autres « anomalies », « bas-reliefs », en lutte contre ledit « néo-libéralisme », alors qu’ils sont, tous, aujourd’hui, gentiment « néantisés » par la toute puissance du Simulacre (la Modélisation globalisée) qui les somme d’obéir, aveuglement, fanatiquement, à « la » Science ; non plus certes et seulement celle du « Diatmat », comme au temps du marxisme-léninisme triomphant, mais celle dudit « modèle mathématique » (statistique plutôt) alors que ce dernier s’il peut synthétiser et projeter notre « existence » en x points convergents  n’en reste pas moins une Somme ; or le Tout que nous sommes est plus que la somme des parties disait Aristote, « l’eau » est bien plus que H20 nous rappelle les poètes, et l’associationnisme a bel et bien ses limites rappelait Pierre Janet pour défendre l’idée que le psychologique n’est (toujours) pas réductible à l’armature neurophysiologique (pas plus que le sociologique ou le philosophique) ; ce que Changeux a bien été aussi obligé d’admettre puisque « l’existence » d’une  probabilité (elle-même limitée par le N+X dont la temporalité peut être le grain de sable ou « l’aile de papillon » qui fait déclenche les bifurcations) ne peut guère nous aider à résoudre cette équation de toujours, rappelée par le (si peu) vaillant Hamlet de Shakespeare : « être ou ne pas être ».

Elle aura toujours été en effet la seule question matricielle qui vaille  plutôt que la seule « existence » (même avec un « k » à la place du x comme l’aura tenté Heidegger et son complexe de la « finitude »); surtout  si pour jauger ce que valent les « valeurs » permettant d’« être », il semble bien qu’  « aller au-delà du bien et du mal » ne veut surtout pas dire aller au-delà du bon et du mauvais prévenait Nietzsche dans sa Généalogie de la Morale, au sens de vérifier justement ce qu’il en « est » réellement :  ou la nécessité de douter de tout jusqu’à pouvoir s’appuyer sur quelque chose de solide, de certain, disait Descartes, cette « terre ferme » rappelait Hegel ; ce qui implique de ne pas confondre déploiement « néantisant » propre à une volonté de puissance inconsidérée -et qui a pu finir au Goulag et à Auschwitz, jusqu’à aujourd’hui avec cette volonté techno-affairiste de transformer plastiquement les peuples d’une part, avec, d’autre part, cette recherche, permanente, d’un développement harmonieux qui tente en parallèle et parfois en opposition de surmonter la seule conservation pérenne de soi et son opposé, la destruction des peuples, pour viser l’affinement durable d’un Soi à la fois singulier (Je) particulier (Famille(s) et Nation), universel (naturalité du Genre humain appelant à une Solidarité morphologique de type durkheimien) et non pas cette dissolution uniquement destructrice comme le laisse croire une lecture tordue du « Négatif » issue du néo-léninisme poststructuraliste : ainsi la sculpture d’une statue « emprisonnerait » l’airain en elle…Rien de nouveau sous le « soleil » en réalité…

 Sculpture sur Soi…

Pour s’affiner (thème au fond qu’affectionnait Madame de Staël dans l’idée encyclopédique du « perfectionnisme ») il faudrait « bien » quelque chose de « vraiment » réel, et non pas « plutôt rien » pour fonder et dérouler cette harmonie de « l’être » qui, en effet, échappe au totalement « préétablie » (pour répondre à l’objection de Voltaire à l’encontre de Leibnitz) puisqu’elle se trouve en constante recherche avec elle-même  dans tout ce qu’elle touche ; rappelons cette « banalité » : « la » vérité ne « nous » est pas définitivement donnée, et pour chaque chose ; sa forme évolue pour sa part mouvante encore inconnue (car concernant le « certain » il y a accumulation ou le Connaître distinct de la Doxa un point sur lequel insistait Raymond Boudon).

Il s’avère alors nécessaire, pour le Soi (et son double triptyque – sujet-acteur-agent en sus de celui-ci-dessus) de trouver à chaque fois le « bien » (le « calculer » comme dans le Timée, ce qui implique une dimension cosmologique…en sourdine dans cette recherche, déviée, cependant d’une « écologie politique ») en vue d’y placer sa propre Clé de Sol ou la puissance d’être ce que l’on aimerait devenir ; se libérant alors et ainsi de ce « complexe d’infériorité » dont parle Oleg Maltsev (dans son ouvrage sur Baudrillard) reprenant à la volée l’injonction de Kant à s’affranchir de l’ « état de minorité » qui lui interdit d’être et non pas seulement d’exister.

Ce qui ne veut cependant pas dire qu’il faille qualifier cette recherche en affinement d’ « égoïste » en opposition alors avec un altruisme béat (Ayn Rand aura dit des choses décisives sur ce point) puisque ce dernier inclut simultanément générosité et désir d’être cet égo, , et non pas un égo parmi d’autres ; au sens où l’altérité, réelle (à l’instar du Potlatch par exemple qui a été beaucoup mieux compris par Baudrillard à la suite de Mauss que par Bataille[2]) ne (se) voit pas seulement en l’autre  (comme) « un » autre, ou encore mimétisme de « son » autre, mais plutôt ce semblable qui ne peut pas être identique, tout en aspirant à la même chance, celle d’être plutôt que rien, même adouci par « la » Marchandise.

Il n’est en fait pas possible seulement d’exister comme « pareil » au nom d’un Juste Retour à nouveau protecteur. Non ; car le Juste à atteindre serait plutôt le fait que le Réel du « Même », celui de la République (Politeia) celle de Platon amendée par Aristote, Machiavel, Locke et Montesquieu, celui des conditions, conflictuelles, mais égales, à disposition, soit non pas identiquement mais de manière équitable (amendement recevable de Rawls) au service du Semblable : ou comment le « Fleuve » de la Vie (ce « Feu ») celui (aussi) des « Travaux et des Jours », dans lesquels nous sommes Somme en permanence, puisse permettre à chaque singularité d’être « l’Air » de ce réel, non pas en lieu et place du Tout (reproche de Marx à Stirner) mais comme cet élément nageant, librement, dans son « Eau » émouvante.

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Avec le Déluge, quelle Arche ?

Mais  à la place de ce Fleuve d’espérance le Déluge hélas revient (« Éternel Retour » des conditions de la Chute).

Celui de ces « représentations » insignifiantes : images sans scénarii, chiffres sans autres indices que ces flots incessants de courbes dont la pornographie affichée n’est plus que ce moment-seringue servant à inculquer l’hypnose ; voilà son obscénité, « l’absence de scène » disait Baudrillard, et l’errance de ladite « différence » s’est avérée rance : sans queue ni tête elle fait office désormais de seul scénario brut autorisé par les Modélisateurs à la recherche du fameux « programme de transition » promis naguère par Trotski ; la polarisation d’aujourd’hui sur le virus dit de la C-19 serait un de ses pixels en voie de pasteurisation.

Cette « annulation du réel », au profit du Rien, même numérisée, accomplit la prédiction du « crime parfait » telle que Jean Baudrillard l’avait esquissée en 1995, il y a vingt cinq ans ; cela reste toujours d’actualité hélas : le Réel, celui qui permet au Fleuve de nos vies non seulement d’exister mais d’être a été non seulement pollué mais assassiné, et le meurtrier court toujours, tout en cherchant un bouc émissaire : ici le CO2 là la C-19 (nouvelle « grippe » saisonnière en réalité). Des cohortes de « scientifiques » bardés de suffisance, et aussi efficients qu’un médecin de Molière, tentent bien de dénicher ici et là quelques morceaux de réels non encore disparus pour prouver vainement leur utilité ; et ils tentent même  d’en authentifier l’origine avec ce qui leur sert de Carbone 14 afin de l’exhiber sur nos corps-écrans, mais cela n’a en fait comme seul objectif que récolter médailles et pouvoirs au Royaume de Babar.

Nous sommes de plus en plus embourbés dans un film ventouse au tourbillon géant pris au ralenti par ces spécialistes en combinaison blanche, les « experts », éradicateurs au sourire d’ange pourchassant désormais les derniers penseurs ou leaders marginaux taxés de « populistes » de « complotistes » au sein même des « réseaux sociaux » ces nervures et radicelles encore « libres » ; le tout au nom de la fameuse « Vérification » nouvel Index ; soit la chape de plomb de ce qui doit être seulement pensé et vu ; elle nous surplombe, telle une fantastique soucoupe volante recouvrant tout le ciel de ses drones avant de déployer en surplomb sa « carte » vidéo dévorant, pour s’y substituer, institutions savoirs pouvoirs jusqu’aux individus devenant la seule projection holographique de leur vie autrefois auto « mobile » aujourd’hui incrustée comme figurant numérisé, triomphe des Modélisateurs ces néo-artistes….

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 « La » science dite « humaine » puis « sociale » aura été ainsi détournée de ses capacités critiques (malgré les efforts, insuffisants, d’Adorno et d’Horkheimer) ce qui a été accélérée (et non freinée) par la cohorte des Lénine, Lyssenko, Freud, Heidegger, Sartre, Lacan, puis leurs rejetons se nommant « déconstructeurs » ou plutôt ces « In’coyables » saccageurs (partisans de « l’annulation du réel ») au nom impossible à percevoir tant ils sont dotés de beaucoup de faux nez minuscules organisés en cohortes d’« élites » lilliputiennes qui participent également,  malgré un vocabulaire disant le contraire, à cet effondrement du Réel ; le tout  s’affairant dans une telle jubilation et un « lâche soulagement » que renaît non pas seulement  la « guerre des dieux », permanente en réalité, mais sa simulation ou art déco là aussi : sans (cent) (vrai/faux) enjeux celle de la guerre tout court, feintes et ruses, « ami ou ennemi » admiration « fêlée » envers la force qui (se) soumet ; peu importe son « côté obscur »…

Cette recherche, cruelle, façon Portier de nuit et Salỏ ou les 120 jours de Sodome (films paradoxaux de l’époque) serait-elle seulement et benoîtement celle du « Père » comme l’on disait dans les années 60 au sens non seulement filial mais affectif de ne pas se savoir « seul devant son péché » angoissait Kierkegaard et « seul dans son existé » soulignait Levinas ?… Il s’agit semble-t-il plutôt d’une ivresse de puissance à l’ombre des écrans de la Salle de contrôle globalisée, sans autre retenue que le prochain banquet à Davos et divers « how dare you » de quelques jeunes démagogues au visage démesuré

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Un tel non plus déni mais effacement, « annulation » de réalité (symbolisé en dernier lieu par la « cancel culture » aux extrêmes) aurait dû être pourtant écarté avec les « plus jamais ça » d’après guerre et surtout après la chute du Mur de Berlin… ; et ce qui a été détruit aurait dû être reconstruite (cela avait bien commencé pourtant : pauvreté, famine, pollution, inégalités injustifiées : en nette régression…). Mais n’est pas Descartes qui veut (même pour Husserl…) lui qui avait pu le faire naguère, lui que l’on a accusé (anachroniquement) de vouloir « dominer la nature » alors qu’il espérait bien mieux la posséder au sens de la connaître (co/naître dit Morin) en vue de notre bonne santé et non pas seulement pour la seule « conquête » orgueilleuse et impavide comme la rumeur du « on » l’a répandue sous des signatures pourtant illustres accusant ainsi toujours « l’autre » (Nietzsche, Heidegger…) ou « le » système (Marx, Lénine, Marcuse) alors que la poutre était déjà dans notre œil (qui regardait Caïn ?).

La recomposition de l’horizon théorique (au sens large, celle d’une mathesis universalis) se fait attendre (un nouveau « paradigme » est-il encore envisageable au même titre que l’unification de la physique ?) tant la division par spécialité et aussi par fractionnement idéologique nuit au nécessaire et toujours possible travail synthétique et encyclopédique sur les Principes comme l’espérait Husserl.

Pourtant l’idée de saisir « l’homme total » comme l’objectivait Mauss semble encore à portée tout en sachant que le mot et la chose sont seront en nécessaire conflit dialectique comme l’a indiqué Hegel. Et d’ailleurs avons-nous le choix ? D’aucuns  chez les Modélisateurs le font déjà avec toutes les insuffisances et erreurs relevées.

La puissance d’être humain, saisie dans une optique républicaine (au sens de la politeia) peut par exemple aujourd’hui démocratiser l’accès à l’affinement « durable » de soi plutôt que sa seule croissance dont « la » société de « consommation » en fut la vitrine quantitative nécessaire mais non suffisante ; mais cette démocratisation se « doit » d’arrêter de prendre les vessies idéologiques pour des lanternes « scientifiques », au sens de croire que le Réel effectif de nos vies peut être annulé, « confiné » remplacé par l’immensité si creuse du Virtuel (la « distanciation » bio-numérique).

C’est pourtant ce que répandent nos élites si mielleuses au sourire d’ange ayant ainsi construit cette immense machine à réduire la chair humaine à de la viande végétale au sens de la produire en « variétés de genre », de manière segmentée, « ciblée » rêves compris ; le tout sans douleurs bien sûr (ou le « global care ») auto-anesthésie (masquée) à coup de séries-miroirs TV anguleuses, chatoiement des couleurs émanant d’écrans multiformes en vue d’en faire de la viande recyclable comme dans Soleil Vert, un film prémonitoire de bout en bout bien plus que Minority Report ou I Robot ; mais Terminator s’en approche tant la Ploutocratie globalisée (au sens non seulement d’être mondialisée mais intégrée et modulée) nous envoie sur les écrans ses machines les plus plastiques et « chaudes » capables de non seulement jouer les Monsieur (et Madame) Smith (ou les nouveaux monsieur et madame Loyal) mais aussi l’Élu prétendant nous « sauver de nous-mêmes » jusqu’à désormais traquer le moindre virus en nous traçant jusque dans nos neurones comme le régime post-maoïste le fait désormais et le propose comme Modèle.

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Le Réel comme « quelque chose en plus »

En fait, un rapide bilan de l’état des sciences sociales et humaines mais aussi des arts (cinéma, littérature…) montre, à part quelques exceptions (mais qui ne font pas la loi du genre) que la situation actuelle n’est pas (du tout) saisie dans sa profondeur gnoséologique ; parce que la réification de l’approche scientifique par exemple ou de la dissolution de tout art au profit de son seul support (ou « matière »: peinture, éléments, géométrie des « corps »…) est telle que les eaux  tumultueux du Fleuve, celui de la réalité réelle, coule certes toujours, mais sans être non seulement adéquatement traité mais de plus en plus pollué vidé de sa substance ; d’où d’ailleurs une spéculation jamais égalée dans le domaine de « l’art contemporain » qui s’en arrache les derniers vestiges, lambeaux d’imaginaires en circuit fermé s’auto-recyclant de mal en pis faute de mieux ou comment combiner Lars Von Trier Newton et Bacon sans pour autant avancer d’un iota sur la connaissance des eaux profondes charriées par le Fleuve sinon en mélangeant les genres dans tous les sens du terme.

C’est ce qui n’avait pas échappé à Jean Baudrillard qui précisément lorsqu’il critiqua cet « art » exsangue dit « contemporain », mais si lucratif et académique, vit s’abattre sur lui toute la puissance de feu de vampires au faite de leur pouvoir, ayant permuté depuis longtemps vie « réelle » et vie « fictive », la seconde devenant non seulement matrice de la première, mais ce qui la modèle au sens non pas de puiser dans l’idéel la légitimité de sa présence réelle, mais d’effacer complètement celle-ci au profit de celle-là ; à l’instar de ce qu’avait pu faire de sa vie Andy Warhol comme le relate Baudrillard dans Le crime parfait, jusqu’à ce qu’une de ses détractrices lui tire dessus pour tester son degré de réalité (virale).

Aujourd’hui, nous sommes toujours dans cette situation où il existe encore bien des étoiles dans le ciel médiatique, mais leur réalité a bel et bien disparu depuis longtemps et pourtant elles discutent devant nous, et avec la même suffisance, des travaux et des jours.

Est-il nécessaire d’entrer à nouveau dans les détails en bouquet final ?….

Peut-être faut-il affiner le niveau de pixels théoriques : la prétention des mots à vouloir enserrer les choses jusqu’à s’y substituer avait été remplacée à la fin du dix-neuvième siècle par les chiffres qui fort de leur puissance de feu pratiquée dans l’essor fabuleux de la Technique pensaient avoir toujours le dernier mot si l’on peut dire alors que cela a toujours été impossible ; sans remonter en effet à la Querelle des Universaux ou plus loin encore aux reproches faits par Aristote à Platon l’idée de maison ne permet pas de la construire telle quelle ; ce que ne disconvenait pas Platon puisque dans sa théorie des trois classes il y avait distinction entre concepteur/guerrier, artisans, esclave, Agrippa parlant, lui, de leur symbiose, Hegel puis Marx de leur conflit permanent ; le « réel » s’avère donc toujours être quelque chose en plus disait Kant, ce qui fait qu’ il ne soit pas certain que la probabilité visant à prévoir son état, aussi précise soit-elle, puisse calculer, a fortiori, sur du vivant humain la trajectoire de celui-ci comme s’il s’agissait d’un « simple » jeu de particules, et, plus encore, comme si nous étions que de la pâte à modeler infiniment plastique et dont on pourrait fantasmer le fait de pouvoir lui donner toutes les formes désirées.

Nous assistons à la fin de ce modèle « bon papa » malgré sa nouvelle montée en puissance sous sa forme bio-numérique cherchant à nous transformer en « terminaux » modulables ; ce que Baudrillard avait perçu en posant qu’à l’instar du médium qui devient le principal message c’est bien « l’économie politique du signe », manipulé par la ploutocratie globale, qui devient le message ; « l’intersectionnalité » tant vantée en n’étant qu’un avatar « modal » de plus : celui de son idéologie légitimant la fabrique de ces myriades de « variétés » comme l’espérait un Deleuze avec l’assentiment béate de Foucault.

La puissance de cette nouvelle forme de modélisation est telle qu’elle veut nous faire croire qu’elle EST désormais le réel lui-même alors qu’elle est épistémologiquement dépassée, déphasée puisque la matière vivante a fortiori humaine est bien plus résiliente qu’inerte ; et pourtant les Modélisateurs toujours portés par le paradigme d’autrefois (de type béhavioriste) assènent que « le » virus (il n’y en aurait plus qu’un désormais avec son rituel journalier de courbes à l’érection médiatisée, érotisée) pourrait être si dévastateur que seul l’arrêt des échanges vivants au profit de l’accélération des échanges virtuels serait la seule issue ; cela permettrait ainsi de « sauver  des vies » et aussi par le même coup « la planète » ; alors que ce « confinement » détruit bien plus qu’il ne construit ; dans la mesure où ne savons même pas de façon certaine si par exemple C-19 se contracte principalement par contact de vivant à vivant (non malade) ou plutôt de manière principalement manuelle, par le toucher, d’une part, alors que, d’autre part, sa mortalité reste extrêmement faible (à l’instar d’une « grippe » disparue depuis ou quasiment, et il ne tue guère les enfants)…

En tout cas une sorte de modélisation systématique émerge qui cependant continue à prétendre comme l’ancienne (le changement dans la continuité en réalité alors que son paradigme de la matière passive est obsolète) qu’elle peut tout prévoir avec certitude ; d’où l’idée, officielle, prétendant que l’augmentation de « positifs » entraînerait systématiquement l’augmentation de « malades » ; sans concevoir cependant, et comme cela a été fait dans certains pays, qu’il conviendrait plutôt de mettre à niveau un accueil hospitalier digne de ce nom pour les personnes à risque au lieu de croire qu’il faille ralentir jusqu’à arrêter les échanges entre humains alors que ce sont deux choses bel et bien distinctes : si vous avez un bon système hospitalier ce dernier prend en charge les personnes les plus à risque sans cependant empêcher la vie sociale urbaine de continuer. Ce n’est pas ce qui est fait

Le refus d’adopter cette solution, pourtant évidente, montre alors bien qu’il y a autre chose en jeu : le fait d’accélérer l’annulation du réel non prédictible ou le Simulacre du 3ème Ordre selon « l’épistémologie baudrillardienne » : non pas celle qui se trompe dans ses calculs en maniant faussement ses exponentielles (la catastrophe prévue avec ses millions et millions de morts n’aura pas eu lieu) mais celle qui nous modélise au sens cette fois sculpturale : nous sculpter, nous forger, et le monde qui avec, ce qui n’est pas nouveau certes, mais ce désormais au sens littéral : au sein même de nos corps par des circuits courts intégrés capables de faire des courts circuits éventuellement ou le triomphe en creux de l’art contemporain au sens de Blanchot : nous, humains, devenons œuvres finales (Eurydice transformée en statue) non pas au sens historique d’un Sujet modelé par le « sociopolitique » mais une œuvre organique, un peu comme ces tableaux montrant la matière peinture en seul sujet, mais avec un bémol esthétique sur lequel insiste Blanchot (Matrice des Bataille, Foucault, Deleuze, Derrida…) : l’œuvre réelle est le processus : « le mouvement est tout le but n’est rien») nous programmant alors et de plus en plus comme des bulles numériques « intelligentes » (déjà prévues par la SF bien entendu) toujours en mouvement brownien, certes, comme l’indique Baudrillard, mais dont la cinétique,  aujourd’hui, s’avère de plus en plus intégrée et manipulable à distance ; de telle sorte que nous devenons peu à peu des variétés de « rhinocéros » déjà théorisés par Ionesco (« tout en attendant Godot » comme la disparition du mal sur Terre) des variétés de vecteurs « multi » (couleur, sexe, goûts) des segments téléguidés erratiques au sein d’une réalité labyrinthe transformée en laboratoire de plus en plus global, le « rat » s’auto-impulsant en dopamine coulant à flots : le flux ininterrompu de rêves vidéo aspirant les individus à l’instar des holosuites de Startreck.

Le tout s’établit au nom du « total care » bien sûr, celui de ce « principe de précaution » (issu d’un paradigme mécaniste dépassé) ou la prévention maximale visant à aiguiller, au sens littéral, la « demande » de feu vert pour telle ou telle « offre » de consommation selon les surcharges et décharges du « réseau » mondial saisi ici comme l’ensemble des interconnexions multidimensionnelles des désirs et de leurs projections objectales ; ou comment « réguler » les flux de la marchandise post humaine : ralentie ici surtaxée là, confinée là-bas ; l’idée étant désormais d’intensifier l’homogénéisation, de la pasteuriser, au sens de retirer peu à peu aux « humains » la capacité même de décider de leur « propre » vie, trop dangereux, polluant, « la » planète l’exigerait  indique ce panthéisme revisité ; et puis nombre d’entre-eux ne désirent plus le faire, cela se voit tous les jours, même les plus « rebelles » se soumettent devant la « plandémie » (alors que le taux de mortalité mondial  de la C-19 oscille entre 0,0001 et 0,0002 %) aussi s’abandonnent-ils, avec délice pour certains, aux injonctions contradictoires (dé/masquez-vous ! Jeunes contre vieux) préférant être (télé) guidés comme il a été bien vu dans les années 1917-1933… Puis 1948, 1958, 1962,1979… (Mao, Castro, Ben Bella, Khomeiny…).

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La résilience du paradigme oligomorphique : de l’émancipation à l’affinement

Comment maintenant résister à une telle « manip » jamais égalée dans cette ampleur puisqu’elle s’est non seulement répandue mondialement (et elle sait le faire) mais se solidifie jour après jour au-delà des régimes politiques, des idéologies, des stratifications et classes sociales?  Certains pensent pour la contrer qu’il faut revenir à des formes anciennes de sculpture sur soi comme le religieux, la nation, la tribu, le clan, la famille donc au sens d’abandonner son libre arbitre à plus « grand » que soi ; mais n’est-ce pas ce qui se passe actuellement ?…

« Refaisons nation » clame par exemple le Président de la République française en empêchant les « jeunes » de se « voir » trop souvent afin qu’ils ne « contaminent » pas les « vieux » au lieu de faire en sorte de maintenir un système de santé performant, tout en l’affinant, y intégrant dans ce cas les nouvelles thérapies appréhendant l’individu comme un tout symbiotique capable de renforcer son immunité son « microbiote » en restant dynamique par l’activité physique, mentale, et une bonne nutrition ou le « bonheur » cette « santé » que recherchait Descartes…

De même, plutôt qu’innover ainsi certains veulent seulement « restaurer » : ils pensent par exemple que pour lutter contre la marchandisation des corps et des affects, avec l’explosion des écrans et leur impact sur l’extension des comportements pornographiques, il faut casser (« réguler ») Internet, empêcher la 5 G, revenir pour d’autres encore, mais sans le dire si crûment bien sûr à la domination de l’homme sur la femme, sur l’enfant, voiler celle-ci, empêcher de penser celui-là, et donc les occuper par prières incessantes  et des tâches quotidiennes, en attendant qu’ils aient l’âge pour s’entraîner à la guerre et enfanter à la chaîne…

Nous voilà alors, nous, -« image » (selon certains) de ce qui nous aurait « créé » c’est-à-dire « libre », « souverain », « indépendant », sorti de « l’infériorité » et de l’injonction catégorique infantile qui nous « minore »-, nous voilà pourtant pris entre le marteau et l’enclume : d’un côté « l’inc(r)oyable » déchaînement des injonctions nous catégorisant désormais comme animaux nuisibles qu’il faut masquer et démasquer contrôler et gaver numériquement alors qu’avant nous n’étions que des animaux à faire jouir en vue de « l’orgie permanente » cette « féérie des signes » dont parlent Jean Baudrillard et Maltsev Oleg ; de l’autre côté se trouve de nouveau érigé en étendard salvateur l’exhumation d’exigences comportementales nostalgiques d’un « âge d’or » qui aurait permis bien mieux qu’aujourd’hui de conserver nos liens indicibles avec le mystère du monde visible et invisible…

Ce dilemme, si séducteur, du « ou bien/ou bien » semble à la fois bien réducteur et surtout faux, même si ce dernier est « un moment du vrai » : ce n’est pas parce que nous vivons plus confortablement et plus longtemps, au-delà des ajustements permanents nécessaires à l’encontre des inégalités injustifiées, qu’il faille pour autant confondre ces « acquis » avec cette soit disante « nécessité » de nous transformer plus « confortablement » encore (telle cette grenouille qui trouve agréable l’eau de plus en plus bouillante dans laquelle « on » l’a immergé) afin de devenir cette espèce modulable malléable à souhait que d’aucuns veulent encore plus réduire à des « besoins » autant de matériaux fluides ou compacts, à l’instar de ce qu’est devenu la picturalité dans l’art contemporain conceptuel et destroy : même plus le sujet ou l’objet mais le résidu, d’un côté ; tandis que, de l’autre côté, d’autres encore aspireraient à nouveau à nous retransformer en soldats de plomb tout dévoués à la « cause » celle de leurs « seigneurs et maîtres » parlant agissant jouissant en « notre nom ».

Au final ce « dilemme de l’infériorité » s’avère ainsi solidifié par cette fourchette permanente emprise avec l’échiquier du monde et sa réalité humaine : ou maître ou esclave, ou du côté du manche ou du côté de la lame : mais que faire lorsque nous avons à faire à un couteau sans manche qui n’a pas de lame ? Baudrillard aimait cette pirouette qu’il se targuait d’avancer souvent riant sans doute sous cape encore au fond des interstices interstellaires et microscopiques, nous laissant « Gros Jean comme devant » abandonné aux crocs des concepts rançonneurs.

En réponse, Baudrillard avait cette idée de radicaliser les stratégies alternatives en les rendant fatales tout comme l’inertie de l’objet dans le vide et celle des « masses silencieuses » immergées dans le monde post-métallique des médias mondiaux. Celles-ci n’ont pas abouties ou à la marge ; ressuscitant plutôt des anciennes gloires se vantant d’abattre telle ou telle Tour de Babel, reconstruite plus haute et plus triomphante quelques temps après…

Le retour du « symbolique » radicalisé ainsi comme arme contre la modélisation et l’activisme des Simulacres ne semble pas avoir été une alternative stratégique si fatale (comme le pensait Baudrillard après le 11 septembre…) mais plutôt un ingrédient de plus assimilé au Trois « B » : Big Brother, Big Pharma, Big high-tech comme cela se repère aujourd’hui avec la manipulation des réseaux numériques, des revues scientifiques (LancetGate) et du passé historique que d’aucuns tentent d’annuler.

Aussi vaut-il mieux songer à prôner, certes, une reconquête de la façon de penser des Anciens, comme l’espérait également Leo Strauss, qui, par exemple, ne séparaient pas mais distinguaient les réels visibles et invisibles, sans pour autant cependant accepter que leurs accès soient toujours gardés par les mêmes chimères dans le sens où il faudrait juste ressusciter « l’Autorité » la « Verticalité », «  l’Égalité » (la nostalgie actuelle autour des « empires ») alors qu’il s’agit surtout de préserver et créer de nouveaux rites initiatiques, de préserver de réels équilibres entre les pouvoirs afin que tout un chacun puisse accéder à son Signe, qu’il soit astral, destinal, au sein ; tout en sachant qu’il le déploie (en nature) et développe (en affinement) au sein d’un double triptyque : sujet acteur agent, singulier (famille) particulier (nation) universel (être animal humain…).

Une transcendance morphologique propre à notre espèce posée comme aussi Genre spécifique : celle sans doute de nos neurones miroirs ou l’empathie, s’articulant à l’altérité : celle-ci étant pensée non plus comme seul souci de l’autre, ce qui est hypocrite, mais plutôt défi à relever ensemble puisque l’autre n’est ni un autre ni mon autre, seulement, mais aussi celui qui peut « nous » pousser à mieux être cette constitution permanente du monde (comme le cherchait, peut-être, Carnap).

L’apport de Baudrillard peut y aider.

***

[1] Ce texte est à l’origine une contribution à la revue internationale en ligne  « Baudrillard Now » consacrée comme son nom l’indique aux divers axes dégagés par cet auteur, j’ai jugé utile de le faire lire également aux lecteurs de Dogma.

[2] Voir mon livre, Éthique et épistémologie du nihilisme, les meurtriers du sens (Paris, l’Harmattan, 2002).

This article has been published in French in the 13th edition of Dogma.

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